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juin 2020

Interviews crise sanitaire Covid-19

La crise du covid-19 a des répercussions sanitaires et économiques que nous sommes tous à même de discerner. Parmi toutes les réactions que nous pouvions vous proposer, nous avons décidé de vous faire partager les réflexions de Patrick Martin, président de MBE et Président Délégué du Medef et de Philippe Nantermoz, directeur général de Legallais. Tous deux ont une longue pratique de notre filière et par leurs engagements en dehors de leur entreprise une vue d’ensemble réaliste sur la situation de notre tissu économique.

Patrick Martin, président de MBE et Président Délégué du Medef

BBI : Quelle est aujourd’hui la situation de l’industrie française, suite à la crise sanitaire ?

Patrick Martin : Pour rappel, l’économie française s’est arrêtée beaucoup plus brutalement et beaucoup plus fortement que n’importe quelle autre économie parmi les pays développés, notamment au sein de l’Union Européenne. Ce phénomène est d’abord lié au fait que la France a priorisé la sécurité sanitaire, dans un contexte de pénurie d’équipements de protection et de respirateurs. Ensuite, facteur aggravant, qui existe aussi en Italie et en Grande-Bretagne mais sans avoir joué autant, le risque de mise en cause de la responsabilité des dirigeants a certainement pesé dans les décisions d’un certain nombre de PME de se mettre quasiment à l’arrêt. Cela a été particulièrement vrai dans le bâtiment et les travaux publics qui, au pire de la crise, sont descendus à 8% de leur activité normale au niveau national, alors qu’en Allemagne, ce taux n’est jamais descendu en-dessous de 80%. 

S’agissant de l’industrie à proprement parler, on est descendu, au plus bas, aux alentours de 45% de l’activité normale, en moyenne des secteurs. Je tiens toutefois à souligner que certaines filières industrielles ont continué à tourner normalement, voire se sont trouvées en surchauffe. C’est le cas de l’agroalimentaire et de la pharmacie.

BBI : Comment se profile la reprise ?

Patrick Martin : L’activité des différents secteurs industriels plafonne à 60-62% de leurs potentiels. Et le taux d’utilisation des capacités de production est de l’ordre de 46 à 48% alors qu’il était à 83% en début d’année. La reprise est très progressive, déjà en fonction des différentes phases du calendrier de déconfinement. Des secteurs sont encore complètement interdits d’activité* comme le tourisme, la restauration, l’événementiel, la culture, les parcs d’attraction, etc.. générant des effets collatéraux sur les activités périphériques. Des pans entiers d’activité par exemple la propreté, la sécurité, sont ainsi à l’arrêt sans être des secteurs interdits, victimes des arrêts administratifs d’autres secteurs. 

Des filières ne redémarreront que très progressivement, comme l’aéronautique et l’automobile, avec, là encore, un effet d’entraînement sur tout leur écosystème : les sociétés de maintenance, les sous-traitants dans la mécanique, le décolletage, les matériaux de synthèse sont impactés... Les effets en cascade sont extrêmement importants. Dans l’aéronautique, tous les prévisionnistes indiquent que le trafic ne reviendra normal que dans deux ans. 

Pour tous les autres secteurs, nous imaginons un retour à une situation à peu près normale au premier semestre 2021. Dans le bâtiment, cela sera peut-être plus rapide, à ceci près qu’il y aura un trou d’air de quelques mois dans le logement neuf, lié au fait qu’il n’y a pas eu pendant un certain temps d’instruction des permis de construire et qu’un certain nombre de donneurs d’ordre publics a bloqué les chantiers. 

Le problème de fond, c’est la demande. A quel rythme, à quelles conditions va-t-elle repartir ? La demande internationale est également un gros point d’interrogation. Cela ne nous empêche pas, au Medef, d’inciter le gouvernement à prendre des mesures en faveur de la consommation, de la libération de l’épargne pour relancer la demande. 

Les ménages reviennent progressivement aux achats mais on est bien en peine de faire des pronostics. D’un côté, beaucoup d’épargne a été accumulée pendant la période de confinement, plus de 60 milliards d’euros, et d’un autre côté, émerge une double crainte. La première, même si elle s’estompe au fil des jours, c’est la crainte sanitaire et le possible retour de l’épidémie. La deuxième, dont la population prend conscience progressivement, c’est la crainte du chômage. Si les consommateurs ne reviennent pas, y compris dans l’industrie, par exemple automobile, cela aura des effets dévastateurs. 

Ce sujet de la demande se cumule à un autre sujet, celui de la productivité. Tout cela fait que la situation reste très complexe. Même si les entreprises les assument complètement, les mesures de protection sanitaire occasionnent une profonde réorganisation de la production. C’est vrai dans l’industrie, comme dans la construction ou le commerce. D’une part, cela génère des surcoûts et d’autre part, cela se traduit par une baisse significative de la productivité. Ces mesures pèsent considérablement sur la rentabilité des entreprises. 

BBI : Comment la situation sanitaire s’est-elle répercutée sur la distribution industrielle ?

Patrick Martin : La distribution industrielle est, par définition, à l’image de ce que sont ses clients. Et contrairement à des industriels qui sont dans les biens d’équipement, nous avons généralement des carnets de commandes assez courts, entre un et deux mois. La distribution professionnelle a une réaction quasi instantanée par rapport à la demande du client. Ainsi, les clients commandant au jour le jour, quand la demande s’arrête, la distribution s’arrête. Cela s’est traduit par le fait que dans la distribution bâtiment, la baisse d’activité est supérieure à 60%, et de 40 à 50% dans la distribution industrielle. Malgré tout, les distributeurs d’EPI, du moins pour les acteurs qui ont réussi à s’approvisionner en temps et en heure, font exception dans ce panorama, en raison d’une demande qui a été multipliée par vingt ou trente par rapport à la norme, avec des tensions très fortes sur les produits techniques comme les masques FFP2 et FFP3 et beaucoup plus encore sur les gants en latex où la pénurie est mondiale. 

Pour des raisons de sécurité sanitaire des personnels et des clients, et pour des raisons de demande, de nombreuses agences ont donc fermé pendant un temps, d’autant plus que le gouvernement a tardé à prendre des décision pour ré-autoriser l’ouverture de ces établissements. Par exemple, l’ordonnance du 25 mars a autorisé la...

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