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octobre 2014

Interprofession

Du nouveau à la table des négociations commerciales

Avant le 1er décembre prochain, les fournisseurs doivent communiquer à leurs clients leurs conditions générales de vente au titre de l’année 2015. Visant à rééquilibrer les relations entre fournisseurs et distributeurs, la loi Hamon introduit en effet plusieurs ajustements à la LME, portant notamment sur les délais de paiement et les modalités de la négociation commerciale, qui doivent être obligatoirement pris en compte par les deux parties pour l’année à venir, sous peine de sanction. Maître Jean-Christophe Grall fait le point avec nous sur les principales dispositions de la nouvelle loi.

Alors que les négociations commerciales pour l’année 2015 débutent, fournisseurs et distributeurs doivent s’approprier le nouvel arsenal réglementaire qui régit désormais leurs échanges. La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, dite aussi Loi Hamon ou encore Loi Consommation, introduit en effet de nouvelles dispositions renforçant le cadre général de la négociation commerciale mis en place par la LME depuis 2008. Leur objectif est clair. Ainsi que le précise le Ministère de l’Économie et du Redressement productif, elles visent à impacter positivement l’économie par le rééquilibrage des relations fournisseurs-distributeurs et la diminution des retards de paiement.

Tous les fournisseurs et distributeurs du marché, quel que soit leur secteur d’activité, sont donc concernés. Si à l’heure où nous écrivons ces lignes, les décrets d’application de la loi Hamon ne sont pas encore publiés, leur imminence ne fait aucun doute. Certains volets de la loi, comme les règles de facturation, sont déjà entrés en vigueur. Les autres, notamment ceux qui visent directement la relation fournisseurs-distributeurs, seront applicables dès le 1er janvier 2015. « Il faut avoir à l’esprit ces nouvelles dispositions pour les négociations 2015. Ainsi, il devient impératif pour le fournisseur de renforcer ses conditions générales de vente et pour le distributeur de vérifier que la convention annuelle 2015 est respectueuse des nouvelles dispositions » confirme Maître Jean-Christophe Grall, du Cabinet d’avocats Grall et associés, spécialisé dans le droit des marchés (concurrence, consommation, distribution).

Des sanctions sonnantes et trébuchantes

La prise en compte de ces nouvelles dispositions est d’autant plus cruciale pour les entreprises que la loi Hamon s’accompagne d’un renforcement des moyens d’action de l’administration, la direction générale et les directions régionales de la concurrence, assortis le cas échéant de sanctions. « Les pouvoirs d’injonction de l’administration n’existaient pas auparavant dans le domaine des relations industrie-commerce. Dorénavant, c’est l’administration qui pourra procéder au contrôle et le cas échéant à la sanction » confirme Maître Jean-Christophe Grall. Les sanctions civiles et pénales prévues auparavant par le Code de commerce en matière de délais de paiement et de formalisme contractuel ne permettaient pas toujours d’aboutir à une sanction rapide et efficace des infractions et manquements constatés. Changement notable, la sanction administrative étant, comme son nom l’indique, prononcée par l’administration, elle sera immédiatement recouvrée par le Trésor Public, d’où une procédure moins complexe et moins longue qu’auparavant.
Le nouveau mécanisme dispose d’autant plus d’arguments pour sensibiliser les partenaires commerciaux à la nécessité de se conformer à la loi qu’en droit administratif, la sanction peut aller pour la personne morale, donc l’entreprise, jusqu’à 375 000 euros et pour le représentant légal jusqu’à 75 000 euros ! Ce sera ensuite à l’entreprise sanctionnée, qui s’estime injustement mise en cause, de saisir un tribunal administratif pour contester la sanction ou intenter un recours.

Modifier les comportements

Ainsi, une amende administrative est désormais applicable en cas de non-respect des délais de paiement, qui demeurent de 60 jours, date de facture et de 45 jours, fin de mois, tels qu’ils ont été initiés par la LME, sauf facture récapitulative. A travers ce nouveau pouvoir de sanction de l’administration, l’objectif du législateur est évidemment d’entraîner une modification rapide des comportements. Chacun sait bien que nombre d’acteurs économiques, jugeant ces délais de paiement pas suffisants longs, n’hésitaient pas à faire quelques entorses à la loi. « Il y a 11 milliards d’euros de retard de paiement des grandes entreprises envers les petites. Une sur quatre a des difficultés à cause de mauvais délais de paiement » expliquait le sénateur Martial Bourquin, dans son rapport sur les relations entre les grandes entreprises et les sous-traitants dans le domaine de l’industrie remis en 2013 au gouvernement. « Il faut ainsi être conscient de l’évolution majeure intervenue dans le domaine des délais de paiement dont le seul objectif est la réduction du crédit inter-entreprise qui pèse très lourdement sur l’économie française » confirme Maître Grall.

Les CGV, le socle unique

Au-delà des retards de paiement entre professionnels, la persistance de certaines pratiques de contournement de la loi dans le déroulement de la relation commerciale n’a pas davantage échappé au législateur. « La contrepartie de la plus grande liberté de négociation laissée aux parties par la LME est une exigence de loyauté et de transparence des relations commerciales. Ainsi, la loi contient plusieurs dispositions destinées à rééquilibrer les éventuels effets néfastes des rapports de forces économiques par la réaffirmation des modalités d’encadrement de la négociation et un formalisme plus strict de la relation commerciale » explique la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes dans une note d’information.

Pour Maître Grall, le cœur de la réforme est effectivement constitué par la volonté de rééquilibrage de la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur, qui passe tout d’abord par le renforcement des conditions générales de vente. « Celles-ci vont désormais constituer non seulement le socle de la négociation commerciale mais le socle unique de la négociation commerciale, renforçant ainsi le statut juridique des conditions générales de vente des fournisseurs, sans pour autant y donner une primauté évidente par rapport aux conditions générales d’achat et autres dispositions pouvant ressortir des contrats d’enseigne », ce qui n’empêchera donc pas les distributeurs de discuter ensuite avec leurs fournisseurs.

Déjà prévue dans le cadre de la loi Dutreil du 2 août 2005, la Convention Unique ou cadre annuelle voit donc son contenu renforcé. Les différentes étapes de la négociation commerciale doivent figurer clairement dans la convention qui doit désormais comporter l’identification des conditions générales de vente, catégorielles de vente éventuelles et particulières de vente, des services de coopération commerciale, mais aussi des anciens « services distincts » ou autres obligations depuis la LME comme le référencement, la communication de statistiques, le merchandising, globalement tout service qui peut être rémunéré par le fournisseur. Autrement dit, la convention doit se référer au barème de prix du fournisseur, indiquer les réductions tarifaires applicables à l’issue de la négociation commerciale, sans oublier la rémunération des services qui doivent être décrits réellement. Visiblement, il sera sans doute plus difficile que par le passé pour un distributeur de requérir de ses fournisseurs une baisse tarifaire qui ne correspondrait à aucun service rendu.

Si, comme précédemment, la convention annuelle doit être conclue avant le 28 février, la loi fait désormais obligation aux fournisseurs de communiquer leurs CGV avec leurs barèmes tarifaires avant le 1er décembre de l’année précédant l’année au cours de laquelle devra être conclu l’accord commercial. Ce qui traduit donc la volonté du législateur de donner une sorte de primauté aux conditions générales de vente et au barème de prix des fournisseurs. « Cela veut dire aussi que la négociation commerciale sera anticipée par rapport à ce qui existait jusqu’à présent, où elle avait tendance à se décaler sur le premier trimestre, voire sur le premier quadrimestre de l’année. La volonté du législateur est visiblement d’avancer la négociation commerciale pour que, finalement, l’accord de volonté entre les parties intervienne avant le 1er janvier. La convention commencera ainsi à courir dès le 1er janvier pour éviter les problèmes de rétroactivité, mais les parties pourront toujours si elles le souhaitent la faire rétroagir à la date de formation du contrat » précise Maître Grall.

Les prix tarifs de l’industriel ainsi que les dégradations tarifaires pour arriver au prix calculé en deux fois net devront bien évidemment figurer sur la facture. « La facture doit être le miroir de la négociation commerciale » souligne-t-il. « Tout se tient : la convention annuelle doit détailler toutes les déductions de prix accordées par un fournisseur à son client sur la base du tarif brut communiqué avant le 1er décembre. Le barème de prix devra être annexé à la convention annuelle, les réductions de prix devront figurer dans la convention annuelle et l’émission de la facture de vente d’un produit en 2015 devra refléter cet accord de volonté, à savoir le prix tarif, les remises, les ristournes. »

Des comportements abusifs à l’index

Par ailleurs, dans le déroulement de la relation contractuelle, la loi interdit expressément deux comportements abusifs, qui étaient dénoncés de manière récurrente lors des contrôles menés par les services de la DGCCRF : la garantie de marge et le non-respect du prix convenu.

Ainsi, les pratiques habituellement dénommées « garanties » ou « compensations » de marge, seront désormais sanctionnées civilement. En cours d’exécution du contrat annuel, un distributeur ne pourra plus formuler des demandes pécuniaires destinées à préserver ou accroître sa rentabilité de manière abusive, c’est-à-dire sans contrepartie et en remettant en cause l’équilibre du contrat. Il devient tout aussi interdit à un distributeur de demander un quelconque alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients.
En revanche, si pour les fournisseurs, les hausses annuelles sont toujours possibles, les modifications tarifaires en cours d’année deviennent plus complexes, de façon à limiter les litiges. L’accord de volonté du distributeur est requis, dès lors que le fournisseur souhaite dans l’année modifier le prix convenu avec un distributeur, pour cause de hausse des matières premières par exemple. « La loi dit désormais que pour pouvoir modifier ce prix convenu, il faut être deux car c’est un contrat. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir de clause de révision de prix ou d’avenant au contrat qui va matérialiser l’accord tendant à modifier le prix. Cela veut dire qu’il faut qu’il y ait un accord de volonté qui permette de modifier ce prix convenu. Si les deux partenaires ne veulent pas se remettre autour de la table des négociations, ce prix convenu ne peut pas être modifié, sauf clause de renégociation prévue pour certains produits agricoles et alimentaires » souligne Maître Grall. Mieux vaut donc prévoir contractuellement, en début d’année, un mécanisme de modification du tarif.