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juillet 2013

Rencontres Synamap

Passer du réglementaire au pratique

Le 27 mai dernier, le Synamap a consacré ses sixièmes Rencontres annuelles aux défis de la santé et de la sécurité au travail dans le milieu de la maintenance industrielle, secteur qui présente un taux surélevé de maladies et d’accidents professionnels. Fonction de plus en plus sous-traitée, la maintenance est confrontée à des risques fort divers dont la prévention repose sur une démarche globale, depuis la conception des machines jusqu’au port du bon EPI.

Si la prise de conscience quant à la nécessité du port d’équipements de protection individuelle évolue positivement au sein des entreprises, force est de constater qu’un décalage entre la théorie et la pratique sur le terrain demeure, notamment au niveau des équipes de maintenance qui affichent des taux de suraccidentalité largement supérieurs à ceux généralement observés dans l’industrie. Le Synamap (Syndicat National des Acteurs du Marché de la Prévention et de la Protection) a donc choisi de consacrer ses cinquièmes Rencontres annuelles aux défis de la santé et de la sécurité au travail dans le milieu de la maintenance industrielle, secteur fortement touché par les accidents du travail et les maladies professionnelles. Deux tables rondes ont ainsi été organisées pour resituer la complexité des problématiques liées à la protection des travailleurs de la maintenance industrielle.

Un taux de suraccidentalité élevé

Les chiffres sont effectivement sans appel. Les informations collectées et analysées depuis 1999 par l’Afim (Association française des ingénieurs et responsables de maintenance), à travers les études SST (Sécurité Santé au Travail) ont établi un état des lieux préoccupant en termes de santé et de sécurité pour les métiers de maintenance. Ainsi que le rappelle Claude Pichot de l’Afim, 230 000 opérateurs de maintenance ont été accidentés dans le secteur de l’industrie contre 190 000 dans l’immobilier et le tertiaire. Sur le long terme, le secteur de la maintenance présente une occurrence d’accidents graves trois fois supérieure à la moyenne nationale, de maladies six fois supérieure et de mortalité huit fois supérieure ! Ces chiffres, qui restent des moyennes, doublent ou triplent pour certains métiers (chaudronnier, monteur, soudeur, tuyauteur) et augmentent aussi considérablement avec l’âge des intervenants. Ainsi, dans la métallurgie, le taux d’accidents est trois fois plus élevé dans la maintenance que pour l’ensemble de la branche. Dès que cela concerne l’amiante, le taux est 8,5 fois plus élevé que la moyenne nationale et huit fois plus pour ce qui est de la surdité.

Pire encore, ces données sont sans doute au-dessous de la réalité. Il est en effet parfois difficile de définir précisément les déclarations d’accidents liés à la maintenance, les entreprises de ce secteur ne disposant pas de leur propre code spécifique. Par ailleurs, certaines opérations sont parfois réalisées directement par une personne de l’entreprise. Et dans certains secteurs, les accidents sont parfois considérés comme de la bobologie et, du coup, ne méritent même pas une déclaration ! « Outre l’aspect humain évident, ces accidents ou ces maladies pèsent lourd sur le résultat des entreprises, en termes de cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles (plus de 5% du salaire brut en moyenne), de coûts de remplacement des accidentés. Les enjeux se posent donc tant sur le plan de la santé que sur le plan économique ».

Opérations de sous-traitance

Alors qu’il existe des réglementations très précises, pour quelles raisons les opérateurs de maintenance sont-ils surexposés ? Les causes sont multiples. Tout d’abord, en période de crise, chacun sait bien que les minima de préventions ne sont pas toujours respectés. Surtout vis-à-vis de personnels de maintenance qui interviennent de plus en plus souvent pour le compte d’entreprises de sous-traitance. Par exemple, dans la chimie, 78 % de l’activité de maintenance est externalisée. « 70% des problèmes sont liés à cette notion de sous-traitance, du fait d’un transfert de sécurité non assumé. Les entreprises oublient souvent de vérifier que le sous-traitant est habilité pour intervenir » regrette Jean-Luc Bétard (coordonnateur Sécurité Protection de la Santé). « Dans la prévention des chutes de hauteur par exemple, il existe des formations faites dans les grands groupes, mais personne ne vient vérifier si la personne qui intervient en maintenance a la connaissance des risques » confirme Bernard Cuny, président du Synamap et dirigeant de la société Gamesystem. Les individus, eux-mêmes, ressentent parfois le port d’EPI comme une contrainte. La petite phrase « si je devais connaître tous les risques, je n’interviendrais pas » n’est-il pas trop souvent entendue ?

Manque d’information et de communication

Très souvent, cette mauvaise prise en compte des risques repose sur un manque d’information et de communication. Le document unique d’évaluation des risques que les entreprises doivent mettre en œuvre à partir de l’’identification, l’analyse et du classement des risques au sein de leur établissement, est rarement utilisé, voire inutilisable. « Le document unique est enterré, les entreprises ne l’ont jamais mis à jour. Il a été conçu comme un document de travail et a été perçu comme un document administratif » regrette Jean-Luc Bétard. Et, bien entendu, il est illusoire de confier un document de prévention de 400 pages à un opérateur de maintenance, quelques minutes avant l’intervention, alors qu’il est souvent soumis à une véritable pression. « De plus, globalement, les entreprises connaissent bien les risques liés à leur métier mais pas les risques périphériques liés par exemple à l’électricité, aux chutes.... » ajoute Bernard Cuny.

Ce manque de communication apparaît d’ailleurs au sein même de l’entreprise. « Les gens sont très qualifiés sur le plan technique mais pas formés à la prévention, y compris sur leur propre poste » poursuit Jean-Luc Bétard. L’information concernant un nouveau composant chimique, intervenant par exemple dans une formule, ne parvient pas toujours à tous les niveaux de la chaîne de production. « L’information doit pourtant être mise à jour quotidiennement ».

Des périmètres d’intervention variés

La vulnérabilité du personnel de maintenance est également liée au fait qu’il intervient dans des secteurs d’activité très variés avec donc des risques très différents. « Les techniciens de maintenance sont très mobiles. Ils se retrouvent dans des environnements différents, interviennent à toutes les étapes de la production. Il n’est pas facile de les aider à appréhender l’ensemble des risques : électriques, hauteur, bruit, projections… » souligne Denis Leblond, directeur commercial chez Ansell. Et si les fabricants d’EPI ont travaillé sur des équipements permettant de faire face à différents cas de figure, la polyvalence ne concerne que les principaux risques. « La réduction des risques passe donc par la prévention. En travaillant sur des catalogues interactifs, sur des systèmes de dotation, l’entreprise va mettre au point une bonne fois pour toutes des solutions qui vont lui donner les moyens de donner à son personnel tout ce dont il a besoin pour se protéger. Cela évite de se réfugier sur des solutions hybrides dont on espère toujours qu’elles feront bien plus qu’elles ne le font dans la réalité ». Sur les sites d’intervention, tout ce qui est au quotidien prévu pour les salariés doit être mis à disposition de la maintenance.

Prévention des besoins

La prévention des besoins et l’anticipation d’achats de matériels ou de formation passe d’abord par une réflexion au niveau de l’entreprise de maintenance. « Les entreprises savent bien dans quels secteurs elles interviennent » explique Bernard Cuny. « Elle doivent prendre des rendez-vous avec le chef de sécurité de chaque site pour voir les zones à risques de façon à prendre les mesures nécessaires » ajoute Jean-Luc Bétard. Un effort d’autant plus essentiel que le contrat porte souvent sur plusieurs années.
A noter que les grandes structures ne sont pas forcément un modèle en matière de respect des règlementations sur le terrain. « Les PME ont sans doute un panel d’interventions moins large que celui d’un grand groupe mais elles font aussi plus d’efforts. Dans les grandes structures, de nombreux documents, des tas de procédures sont produits mais aucun n’est exploitable sur le terrain. Avec une PME, c’est souvent mieux pris en compte, car la proximité est plus importante entre le manager et le terrain ».


Rendre visible les risques

Parmi les solutions permettant d’évoluer efficacement d’un monde réglementaire à celui de la pratique, la mise en place sur le terrain de repères identifiant les risques (vannes, robinetteries, tuyaux, machines...) constitue une première approche indispensable qui peut se révéler cruciale pour améliorer les conditions d’intervention de prestataires extérieurs.
Cela passe aussi par du bon sens à travers par exemple la généralisation d’EPI convenant à l’individu, comme par exemple les lunettes de protection adaptées à la vue dont l’utilisation commence à peine à émerger dans l’hexagone. « En France, pour l’instant, il faut choisir entre se protéger et voir ! »

Conception orientée maintenance

En fait, cette question de la prévention relève d’une démarche globale qui part de la conception de la machine jusqu’au port du bon EPI. Ainsi que le résume Jean-Christophe Blaise de l’INRS, les problèmes sont tout à la fois liés à la formation des hommes, à l’organisation des entreprises (sous-traitance), à la communication (théorique et pratique disjointes), à la technique (conception machines). « Les machines ne sont pas conçues pour être maintenues ». Et Claude Pichot de regretter le manque d’échanges avec les concepteurs de machines de certains secteurs d’activité. « Une éolienne pour les fabricants, c’est une machine de production, pas une machine sur laquelle on doit intervenir » indique-t-il en témoignant de la réticence de certains à doter les éoliennes d’un ascenseur même si cet équipement devient obligatoire pour les hauteurs supérieures à 60 mètres. Il faut pourtant avoir le cœur bien accroché, sans compter la fatigue, pour gravir cinquante mètres sur une échelle à crinoline, avec des outils autour du cou ! Cette situation n’est pas un phénomène isolé, de nombreuses installations ne prévoyant pas les interventions de maintenance. « La conception orientée maintenance n’intéresse pas grand monde. C’est un déni du travail réel. Il faut prévoir les conditions d’intervention, sinon c’est le système D qui se met en place ».

De même, en dehors des filières spécialisées (hygiène, sécurité, environnement), les écoles d’ingénieur ne proposent aucun cursus obligatoire sur la sécurité. « Les pannes sont une option de l’industrie. On forme des ingénieurs aux risques juridiques, financiers mais pas aux risques sécurité ».
 

AR

 


La maintenance en France

La maintenance en France, c’est chaque année…
• 21,2 milliards d’euros de dépenses dans l’industrie (2,3% de la production en valeur), dont 7,1 milliards d’euros sous-traités
• 17,6 milliards d’euros de dépenses dans l’immobilier et tertiaire, dont 13,2 milliards d’euros sous-traités
• 12 milliards d’euros de dépenses en produits et composants industriels en maintenance et travaux neufs
• Elle génère 450 000 emplois de qualifications élevées dont 12 000 cadres, ainsi que 8 500 diplômés du CAP au Mastère

 

 

 

 

 

 

Tags : Synamap